Emma Debroise, diplômée de l’ESSEC, a réalisé son rêve d’enfant : devenir comédienne… avant d’ajouter à son arc la corde de coach et formatrice en entreprise.
Elle nous ouvre la porte des pratiques théâtrales, opportunités pour des managers et leurs collaborateurs de prendre du recul pour être plus performants.
Comment créer ces passerelles entre deux univers à priori éloignés ? Comment son regard de comédienne peut-il appréhender l’entreprise de demain ?…
Je vous propose d’aller à la rencontre d’une comédienne talentueuse… et ambitieuse pour l’entreprise !
Emma, peux-tu stp retracer en quelques mots ton parcours professionnel atypique, pour que nous puissions mieux te connaître ?
J’ai commencé par suivre le parcours classique d’une bonne élève de terminale : classes préparatoires et grande école.
J’avais alors déjà très envie d’être comédienne (je suivais des cours dans une MJC à côté de mon domicile parisien), mais je ne l’assumais pas car ce n’était pas une option envisageable dans mon milieu familial, et puis je tenais à rassurer mes parents qui s’étaient beaucoup investis dans ma réussite scolaire. J’ai du coup intégré l’ESSEC (école de commerce) et c’est paradoxalement dans cette école que j’ai commencé à assumer ma vocation. J’ai pu monter plusieurs spectacles et m’exercer aux différents postes nécessaires à toute création (mise en scène, scénographie, création costumes, communication, budget prévisionnel, gestion d’équipe, planning, etc.). J’ai ensuite commencé à travailler en agence de communication puis dans un cabinet d’étude qualitative. Ces expériences ont été riches en apprentissages mais l’appel de la scène était plus fort que tout.
J’ai du coup quitté mon travail pour reprendre des études en gestion culturelle à Dauphine (Pairs IX), dans l’espoir de travailler au moins dans le secteur qui m’intéressait. J’ai travaillé ensuite quelques mois en tant qu’assistante mise en scène puis dans plusieurs sociétés de production audiovisuelle durant 3 ans. J’y ai beaucoup appris sur l’organisation des tournages et sur la post-production, mais j’ai compris aussi que je n’y trouverai jamais de passerelles vers des postes plus créatifs; j’étais définitivement étiquetées en « production » et si je souhaitais un jour créer et interpréter il fallait que je rompe radicalement avec l’image qu’on avait de moi.
J’ai donc à nouveau quitté mon poste.
En parallèle, j’ai fait partie de plusieurs collectifs de courts-métrages dont Collectif Court dans lequel j’ai pu faire mes premières expériences de tournage de film. J’ai décidé alors de me lancer dans la réalisation d’une première fiction « Réquisitoire contre la bonté » dans lequel j’interprète 14 personnages différents grâce à des effets spéciaux. Ce court-métrage m’a permis de trouver un agent et de commencer à exercer mon métier de façon rémunérée. Depuis, j’ai écrit deux autres films dont un gros court-métrage historique et musical A Corps Perdu qui traite du sujet des femmes tondues à la Libération. J’ai ensuite rejoint deux compagnies d’improvisation théâtrale (Les Flibustiers de l’Imaginaire puis Les Impromises), ce qui m’a permis d’acquérir une solide expérience de la scène sur laquelle je m’appuis aujourd’hui dans mon métier de formatrice. J’ai eu la chance ensuite de rencontrer Aude Diano (IMPRO2) en 2013 alors qu’elle montait sa société de formation. Mon parcours atypique correspondait à ce qu’elle recherchait et c’est grâce à elle que j’ai débuté en tant que formatrice.
Comment décris-tu ton métier aujourd’hui ? d’abord comédienne, coach en entreprise ? les deux ?
Pour moi, ces deux activités se nourrissent mutuellement. D’un côté, mon métier de formatrice me donne de l’assurance et vient interroger ce que je vis sur scène. De l’autre, je m’appuis sur mon expérience de la scène et des tournages pour illustrer ce que j’enseigne en formation.
En terme de priorité, je mets cependant mon travail de comédienne en premier, c’est mon rêve d’enfant que je réalise et cela n’a pas de prix.
Quelle utilité pour toi à mettre des ponts entre les techniques théâtrales et l’entreprise ? Quels sont les points de rencontre entre des managers et des comédiens ?
Les techniques théâtrales, et notamment celles pratiquées en improvisation, sont des techniques éprouvées sur scène, cet espace de création où tout fonctionne sur un fil, grâce aux clés comportementales développées par les comédiens. L’histoire collective s’écrit en direct comme dans la vie et est si fluide qu’elle semble définie à l’avance. Bien souvent en entreprise, les process, les habitudes emprisonnent les collaborateurs dans des comportements mécaniques, désincarnés et les urgences qu’ils ont à traiter les empêchent de prendre du recul. Découvrir ces clés comportementales est une bulle d’oxygène qui leur permet de dépasser leurs blocages, de révéler leurs richesses créatives et de mettre en lumière leur singularité.
En quoi les techniques d’impro peuvent-elles être efficaces dans un objectif de motivation des équipes ? Comment travailler la cohésion grâce à ces méthodes ? en quoi peuvent-elles répondre à des attentes des salariés ?
Les séances d’improvisation se déroulent toujours dans un climat de bienveillance (vis à vis de soi et des autres), de plaisir et d’exploration. Ces principes permettent aux participants d’expérimenter les clés comportementales citées précédemment de façon détendue, du coup ils osent prendre des risques et peuvent révéler ainsi tout leur potentiel. Permettre à chaque collaborateur de découvrir ses forces et celles de ses collègues est un puissant levier de motivation. Ils apprennent à mieux se connaître et à s’accepter mutuellement. Cela redonne confiance au sein de l’équipe et donc de l’énergie pour se dépasser.
A titre personnel, au regard de tes expériences avec les entreprises, quel conseil donnerais-tu à un dirigeant/une dirigeante ou un DRH qui a à cœur, non seulement la performance, mais le bien-être de ses collaborateurs ?
Le principal conseil que je donnerais à un dirigeant c’est de responsabiliser davantage ses collaborateurs, en créant un climat de confiance. Il arrive souvent que les managers envoient des injonctions contradictoires à leurs équipes : « sois performant » mais « ne commets aucune erreur! »
Les collaborateurs vivent du coup dans la crainte perpétuelle de se tromper et n’osent plus prendre d’initiative, ce qui provoque un cercle vicieux : j’ai peur donc je n’ose plus, donc je perds en créativité et en autonomie, donc en motivation, donc en performance, ce qui pousse du coup le manager à être encore plus contrôlant, et ainsi de suite.
Ici ce qui est capital de retenir, c’est que, comme en improvisation, la détente est source de performance. Des salariés qui vivent dans la peur perpétuelle de l’erreur ne peuvent pas donner le meilleur d’eux-mêmes. Créer ce climat de confiance est propice à la détente donc à la performance. A cet égard, l’expérience de « l’entreprise libérée » théorisée par Tom Peters est une bonne piste de réflexion.
Selon toi, quels sont les enjeux majeurs de l’entreprise pour demain ?
Il y a l’égalité des salaires entre hommes et femmes qui est un gros enjeu. Les dirigeants se privent de potentiels importants en maintenant ce plafond de verre et les femmes ont un chemin à parcourir pour lever leurs freins internes et s’affranchir des stéréotypes qu’elles subissent depuis des siècles. Les choses sont heureusement en train de changer dans le bon sens, et notamment grâce aux hommes qui sentent les bénéfices de sortir des injonctions carriéristes dans lesquelles ils se sont enfermés. De façon transversale, c’est aussi l’enjeu de l’équité.
Parmi les salariés, je remarque en effet une aspiration croissante à ce que leurs efforts et leurs talents soit mieux valorisés et récompensés au sein de l’entreprise. Une entreprise plus équitable donne l’envie à chacun de s’investir davantage, créant ainsi un cercle vertueux. Enfin, il y a la quête de sens, le besoin d’être en accord avec ses valeurs en tant que citoyen du monde.
Au même titre que l’équité, redonner une dimension éthique à tous les niveaux hiérarchiques de l’entreprise me semble être un enjeu majeur afin que chaque salarié puisse se sentir fier d’en faire partie, ait envie de défendre ses valeurs, ait le sentiment d’être considéré en tant qu’être humain à part entière et non uniquement comme une source de profit.
Pour cela, l’implication de la direction est fondamentale afin que ce ne soit pas seulement une éthique d’apparence mais qu’elle s’inscrive authentiquement et durablement dans l’ADN de l’entreprise.
Je propose de « réinventer l’entreprise » et suis personnellement convaincue que l’entreprise demain sera humaine ou ne sera pas… Qu’en penses-tu ? toi qui es avant tout une artiste tout en côtoyant les entreprises, comment imagines-tu cette réinvention ?
Tout à fait d’accord avec cette idée. Je rêve d’une entreprise plus collaborative et moins hiérarchisée dans laquelle les richesses seraient mieux redistribuées et les talents plus valorisés.
Une entreprise qui s’appuierait donc avant tout sur son potentiel humain pour se développer. Une entreprise reposant sur le dialogue social et où les règles seraient équitables pour tous et établies de façon transparente et concertée. D’autant que remettre l’humain au coeur des préoccupations est à mon sens une stratégie économiquement gagnante à long terme pour l’entreprise comme pour les salariés.
Une anecdote à partager, un témoignage personnel pour mes lecteurs dirigeants, de ton métier de comédienne ? ou de ton métier de consultante en entreprise ?
C’est assez fascinant pour moi de revenir aujourd’hui en entreprise par le biais de l’improvisation. Je redécouvre à la fois toutes les problématiques vécues lors de mes expériences de salariée, mais avec le recul de mon travail de comédienne et la volonté d’apporter du bien-être et des pistes de solution aux participants. Mon parcours atypique prend du coup tout son sens grâce à mon activité de formatrice.
L’entreprise de demain en un mot ou une phrase ?
Pour moi, la confiance au sein de l’entreprise est la clé qui ouvre la porte de la créativité.
Merci Emma de cette ouverture de l’entreprise au monde du théâtre !
Chères Lectrices, Chers Lecteurs, avez-vous déjà expérimentés dans vos entreprises ce type d’outil de cohésion et motivation ? Partagez-nous vos expériences en commentant cet interview…
Pour compléter les propos d’Emma, voyons comment booster l’engagement de nos collaborateurs :